Miriam Makeba est morte comme elle a vécu : pour la bonne cause. Cette arrière-grand-mère de 76 ans n’a jamais déposé les armes : malgré l’arthrose, elle continuait à monter sur scène et à soutenir des projets comme « ambassadeur de bonne volonté » des Nations unies. C’est à la fin d’un concert napolitain de soutien à Roberto Saviano, l’auteur menacé du best-seller Gomorra, qu’elle s’est effondrée, victime d’un infarctus.
En Afrique du Sud, les hommages affluent pour célébrer « Mama Africa », symbole depuis les années 60 de la lutte antiapartheid sur la scène musicale. « Ses mélodies obsédantes ont exprimé la souffrance de l’exil qu’elle a subi durant trente et une longues années. En même temps, sa musique nous a inspiré un formidable sentiment d’espoir », déclare Nelson Mandela, qui l’avait convaincue de rentrer en Afrique du Sud en 1991. « Elle avait un énorme appétit de vivre ; professionnelle, modeste et généreuse, quand on répétait en studio, elle apportait des plats exquis pour l’équipe », raconte son producteur, Cedric Samson.
Née en 1932 à Johannesburg, elle a commencé à chanter, à 21 ans, avec les Manhattan Brothers, groupe-phare des années 50. C’est l’âge d’or du jazz sud-africain et la jeune Makeba devient la coqueluche des tsotsis (gangsters) de Sophiatown, quartier swing de Johannesburg. Elle mêle le jazz, la musique des townships et les airs traditionnels, en un style qui marquera toute sa carrière. Ironie de l’histoire, c’est en Italie, où elle est décédée, que sa vie prend un tournant décisif, en 1959 : le gouvernement sud-africain lui retire son passeport pour la punir d’avoir participé à la présentation, au festival de Venise, d’un documentaire sur l’opéra jazz King Kong, dont elle est la chanteuse vedette. Voilà Makeba bannie ; ne pouvant enterrer sa mère, en 1960.
Son exil va durer une éternité : « Dans mon esprit, dans mon cœur, j’étais toujours à la maison, j’étais toujours en train d’imaginer que j’allais rentrer... » Elle est pourtant la première chanteuse africaine à percer aux Etats-Unis, où elle a suivi son « grand frère », l’acteur-chanteur de calypso Harry Belafonte. Grâce à ses hits (Pata Pata, The Click Song, Malaika), elle est la première Noire à recevoir, en 1966, un Grammy, avec Belafonte. Elle chante pour le président Kennedy et prend la parole devant les Nations unies, en 1963, pour dénoncer le régime de l’apartheid, qui lui retire sa citoyenneté et interdit ses chansons. Celle qui est devenue pour toujours « Mama Africa » n’a jamais vraiment profité de sa gloire : mal conseillée, elle n’a même pas touché les royalties énormes du standard annonciateur de ce qu’on allait appeler la « world music », Pata Pata.
En 1968, après deux divorces (notamment d’avec le trompettiste sud-africain Hugh Masekela), elle épouse un leader des Blacks Panthers, Stokely Carmichael, de Trinidad. Mal lui en prend : ses concerts sont annulés. Le couple s’installe alors en Guinée-Conakry à l’invitation du président Sékou Touré.
Après un nouveau divorce, Makeba vit ses années les plus sombres, marquée par la pauvreté, la dépression et le décès de sa fille Bongi.
En 1985, elle part s’installer à Bruxelles. Alors que la lutte antiapartheid prend de l’ampleur, elle fait un come-back en chantant en 1987 avec Paul Simon sur sa tournée Graceland. Ses vieux tubes connaissent une nouvelle vie.
En 2005, Miriam Makeba avait annoncé ses adieux à la scène, mais elle n’avait pas pu s’y résoudre. Elle continuait aussi de s’occuper à Johannesburg d’un centre qu’elle avait créé pour les jeunes filles victimes de violences. Le seul souvenir qu’elle voulait laisser était d’avoir été « une très bonne vieille dame ».
Source : liberation.fr