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Monde

9 juillet 2006

L’Afrique agricole par Hervé Morin

"Penser globalement, agir localement." Pour cet agronome, il existe des solutions, "si l’on part des savoir-faire locaux", pour combiner élevage et culture végétale. Il cite en exemple la culture du coton dans le sud du Mali, où le fumier est utilisé comme fertilisant. Autant de succès relatifs qui, admet-il, restent fragiles.


LE MONDE | 08.06.06

L’Afrique cumule bien des plaies : guerres, pandémies, sécheresse, invasions de criquets... Mais elle souffre aussi d’un épuisement plus lent, celui de ses sols, qui perdent peu à peu les nutriments essentiels à un rendement agricole durable : les engrais NPK, pour azote, phosphate, potassium.

Ce phénomène est au cœur du Sommet africain pour les fertilisants, qui se tient du 9 au 13 juin à Abuja (Nigeria), sous la présidence d’Olusegun Obasanjo, président du Nigeria et animateur du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad). L’objectif de ce sommet est de déterminer des stratégies pour revitaliser l’agriculture africaine et y faire prospérer une "révolution verte".

La dégradation des sols dont souffre l’Afrique vient d’être précisément mesurée par deux chercheurs, Julio Henao et Carlos Baanant, du Centre international pour le développement des fertilisants (IFDC), une ONG basée dans l’Alabama (Etats-Unis). Leurs données indiquent que, sur la période 2002-2004, 85 % des terres arables subsahariennes ont perdu, chaque année, en moyenne, 30 kg de nutriments par hectare, et que 40 % avaient des taux de perte supérieurs à 60 kg par hectare. Ces pertes représentent l’équivalent de 4 milliards de dollars de fertilisants. "Il ne fait pas de doute que la ressource même dont dépend la survie des paysans africains est mise en péril par l’épuisement de ces nutriments", concluent les chercheurs. Ils recommandent de faire de la résolution de ce problème "une priorité nationale" dans certains pays ciblés, avec des subventions, des zones d’intervention et des calendriers précis - afin de ne pas rééditer l’échec d’une précédente initiative lancée dans ce domaine il y a dix ans.

Cette perte de nutriments a une origine toute simple : hormis la récolte, la plus grande partie des végétaux, notamment les pailles, est utilisée hors des terres agricoles, ce qui se traduit par une perte sèche de matière sur les lieux de culture, rarement compensée par l’utilisation de fertilisants. S’y ajoutent des pertes d’azote et de phosphore par érosion des sols et, par la circulation de l’eau dans le sol, d’azote et de potassium. Les pays les plus touchés par le phénomène sont la Guinée, le Congo, l’Angola, le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda, où, par hectare, 60 kg de nutriments sont perdus chaque année. Parallèlement, les pays subsahariens (à l’exception de l’Afrique du Sud) ont importé, en 2003, 19 millions de tonnes de céréales, pour un coût de 3,8 milliards de dollars. Pourtant, un tiers de ces populations restent sous-alimentées, particulièrement en Afrique de l’Est, où l’épuisement des sols est le plus marqué.

Il y a deux façons d’accroître la production agricole. En Asie, la "révolution verte" a tablé sur un usage accru des fertilisants et des pesticides et sur de nouvelles semences pour améliorer ses rendements, avec un impact écologique parfois dommageable. En Afrique, faute de moyens, on utilise dix fois moins de fertilisants. Il a donc fallu étendre la surface agricole. Au total, environ 50 000 hectares de forêt et 60 000 hectares de prairie seraient réquisitionnés chaque année au profit de l’agriculture. Mais les meilleures terres ont déjà été défrichées, les jachères ne sont plus possibles et la productivité stagne : en 1998, les rendements pour les céréales dans les zones subsahariennes étaient en moyenne d’une tonne par hectare, soit 15 % de moins que la moyenne mondiale de... 1965. Pour Freddy Nachtergaele, de la division "mise en valeur des terres et des eaux" de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le rapport d’Abuja "est intéressant et présente des données inquiétantes, mais pas trop nuancées". La FAO privilégie "d’autres approches considérant la pression de l’agriculture dans des régions qui ont une pression démographique certaine, alors qu’elles sont peu aptes du point de vue climat et sol", note l’agronome. La qualité des sols n’est pas seule en cause dans cette stagnation des rendements, rappelle Raphael Manlay, de l’Ecole nationale du génie rural des eaux et forêts (Engref). "Elle peut aussi résulter de tendances climatiques à moyen terme, note le chercheur. Après une baisse, les précipitations reviennent au niveau de leurs moyennes historiques depuis 1998 en Afrique de l’Ouest." Les pratiques agricoles jouent aussi un rôle : la diminution de la rotation des cultures, avec des légumineuses, au profit de la monoculture de céréales, "peut se traduire par une pullulation d’insectes ravageurs".

De plus, se limiter au calcul de la perte des nutriments est un réflexe d’agronome "à l’ancienne" : "Le sol serait un réservoir qu’il suffirait de nourrir. C’est un langage comptable qui parle bien aux décideurs, convient Raphael Manlay. Malheureusement, ce n’est pas comme ça que fonctionne un écosystème." Dans les bilans, il faut aussi déterminer où va la terre érodée : finit-elle à la mer ou dans les champs en aval ? Qu’en est-il de la fertilisation atmosphérique, c’est-à-dire le dépôt de limons originaires du Sahara par l’harmattan, qui peut atteindre 20 à 50 kg d’azote par hectare et par an dans certaines régions d’Afrique de l’Ouest ?

L’apport artificiel d’engrais peut cependant faire une grande différence, rappelle Eric Roose, de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), qui a beaucoup travaillé à Abidjan et à Ouagadougou. Il cite ainsi la méthode traditionnelle du zaï, qui consiste à pratiquer des trous dans le sol, où se concentre l’eau de ruissellement et dans lesquels on adjoint quelques poignées de "poudrette", sorte de fumier du pauvre. "Grâce à cette technique, on est passé de 200 kg à 600 kg de céréales par hectare, raconte-t-il. Mais lorsqu’on a rajouté 60 kg d’azote et 30 kg de phosphore, on est passé à 1 600 kg de rendement à l’hectare."

"Les sols africains sont pauvres parce que les roches africaines sont naturellement pauvres en apatites et en carbonates marins", poursuit-il. Les problèmes d’infrastructures sont donc centraux : les engrais sont des matériaux lourds qu’il faut pouvoir acheminer à travers le continent. Cela suppose des routes carrossables ou, mieux, des réseaux de chemins de fer. Ne dit-on pas que "le meilleur sol pour la banane, c’est celui qui est près du port", là où est débarqué l’engrais ?

Avec certains collègues, Eric Roose n’hésite pas à mettre en cause la Banque mondiale, qui préconise l’importation d’engrais, mais aussi le système d’échanges agricoles international qui ne donne pas aux paysans les moyens d’en acheter. "Les agriculteurs sont bien conscients de la dégradation de leurs terres, confirme Roland Poss (IRD). Mais ils ne peuvent simplement pas faire les investissements nécessaires pour préserver leur capital de production." Celui-ci est fragilisé par la variabilité des cours des produits agricoles, sans parler des subventions dont bénéficient les agriculteurs du Nord. Le renchérissement du pétrole, grâce auquel l’engrais est produit, va encore accentuer le problème.

Sur le 1,3 milliard de paysans de la planète, 1 milliard est complètement démuni du point de vue technique : "Ces gens-là n’ont pas accès à l’engrais chimique", affirme Alain Ruellan, professeur émérite des sciences du sol. Aussi faut-il trouver des alternatives en développant l’utilisation d’engrais organiques et en conservant sur place la paille, qui permet la fabrication de l’humus et la fixation de l’azote. "Cela signifie une agriculture moins "minérale", plus diversifiée en fonction des sols, des paysages, des sociétés."

Une approche que Francis Ganry, chercheur au Cirad, résume d’une formule : "Penser globalement, agir localement." Pour cet agronome, il existe des solutions, "si l’on part des savoir-faire locaux", pour combiner élevage et culture végétale. Il cite en exemple la culture du coton dans le sud du Mali, où le fumier est utilisé comme fertilisant. Mais aussi la gestion d’un bocage par les Bamilékés au Cameroun. Ou encore les parcs arborés, où la légumineuse arborescente Faidherbia albida permet la fixation d’azote et augmente la fertilité des sols. Autant de succès relatifs qui, admet-il, restent fragiles.

Hervé Morin



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